Les collections du Musée d’art et d’histoire restaurées
Le 27 mai 2025
Chaque exposition se nourrit des recherches sur les collections. Elles donnent à voir une thématique, un contexte de création, un pan d’histoire ou d’histoire de l’art grâce aux études conduites par l’équipe des musées. Enrichis ou non par des prêts extérieurs, les parcours de visite mettent ainsi en lumière les œuvres du musée.
Chaque exposition est donc aussi l’occasion de restaurer les œuvres choisies. A ce titre, les trois éditions du cycle d’exposition Bons Baisers de Granville ont représenté pour le Musée d’art et d’histoire une opportunité exceptionnelle de restaurer des objets et des tableaux particulièrement représentatifs des collections.



Au gré des expositions, les restaurations constituent une formidable opportunité d’améliorer l’état de conservation de nos collections. Très encadrées, elles sont aussi largement subventionnées puisque l’Etat et la Région financent entre 50 et 60% des coûts HT selon les régions, par l’intermédiaire du Fonds régional d’aide à la restauration (FRAR).
Le budget dédié pour les musées de Granville est de 20 000€ par an. Ce montant permet de réaliser entre 10 et 20 restaurations par an, variable selon le type d’objet, l’importance du traitement à prévoir et donc le temps de travail dédié. Sur un volume total de collection d’environ 20 000 items, les équipes des musées doivent opérer des choix. L’une des priorités est celle donnée aux œuvres présentées au public, dans le parcours permanent ou en exposition temporaire, et qui recoupe les critères de représentativité au sein de la collection, de signification pour l’histoire et l’histoire de l’art.


Ainsi, pour la première édition de l’exposition en 2023, ont été restaurés le coffre de corsaire, le couple de pêcheurs en terre cuite et les cadres en bois doré de 5 tableaux. En vue de la seconde édition en 2024, l’ont été à leur tour 4 maillots de bain, un capot et les esquisses de deux fresques pour le Stade Louis Dior. Enfin, dans le dernier volet de l’exposition en 2025, 150 œuvres sont exposées, dont 10% ont été restaurées. Les restaurations concernent des typologies multiples : textile, beaux-arts, naturalia, ethnographie. Des restaurateurs différents sont donc intervenus, chacun dans leur spécialité.
La restauration des œuvres des musées est soumise à des règles précises, à la fois déontologiques et légales. La déontologie se résume à 3 mots-clés : lisibilité, stabilité et réversibilité. Pour les restaurateurs du patrimoine, cela signifie que la restauration doit être différenciable du travail de l’artiste, qu’elle doit être pérenne dans le temps et ne pas se dégrader en risquant de détériorer l’œuvre. Enfin, toute intervention postérieure au travail de l’artiste doit pouvoir être retirée sans porter atteinte à l’objet et permettre de retrouver l’état avant restauration. Par exemple, un restaurateur n’appliquera une peinture sans l’isoler de la couche picturale initiale sinon son intervention ne pourrait pas être retirée sans enlever en même temps la peinture appliquée par l’artiste.
Ces grands principes ont été progressivement élaborés depuis la fin du 18e siècle, avec la naissance de la notion de patrimonialité en Europe, après la Révolution française. Ils sont aujourd’hui largement partagés, ils se sont affinés et affirmés en particulier au 20e siècle. Ces exigences déontologiques ont trouvé leur traduction dans le droit et sont intégrées au code du Patrimoine depuis 2004, pour les musées, les monuments historiques et tous les domaines relevant du patrimoine culturel.
Pour pouvoir répondre à ces exigences, les restaurateurs du patrimoine bénéficient d’une formation très poussée, combinant histoire de l’art, étude des matériaux et gestes techniques. En France, seules 4 écoles délivrent le diplôme de restaurateur/restauratrice du patrimoine, dont le prestigieux Institut National du Patrimoine, qui forme également les conservateurs. Au sein de cette carrière, il existe 7 spécialités, correspondant chacune à un type d’œuvre : les arts du feu (céramique notamment), les arts graphiques et livres (œuvres sur papier), le mobilier (incluant une spécialisation pour les cadres), la peinture (en distinguant la couche peinte, ou couche picturale, et son support en toile, en bois, en métal, etc), la photographie, la sculpture et le textile.
Ce sont donc les spécialistes de plusieurs spécialités qui ont été sollicités pour restaurer les œuvres du Musée d’art et d’histoire de Granville en vue des expositions Bons Baisers de Granville.
La restauration de l’arbre à oiseaux et des scarabées Goliath
La collection de naturalia est peu montrée et n’a jamais bénéficié de campagnes de restauration. Elle est encore mal connue malgré deux récentes études ponctuelles :
- En 2015, l’analyse de la vertèbre de baleine et de la mâchoire d’éléphant par le Museum national d’histoire naturelle en vue de l’obtention du certificat CITES. Ce document atteste que ces restes animaux ne sont pas le fruit de trafics illicites et ont été acquis par le Musée d’art et d’histoire de Granville avant la Convention de Washington (1973) et la réglementation protégeant la faune et la flore sauvages en voie d’extinction ;
- En 2020, l’inventaire rétrospectif et le reconditionnement de la collection d’histoire naturelle, en particulier des coquillages et crustacés, par Thomas Beaufils
En 2024, ont été restaurés un arbre à oiseaux, orné de passereaux américains, et une boîte de 3 scarabées Goliath du Congo. Les animaux naturalisés avaient accumulé au fil des décennies un fort empoussièrement et subi des chocs qui les avaient fragilisés et avaient altéré leur présentation.
Avant d’intervenir, la restauratrice, spécialisée en collections animales et végétales, les a décrits soigneusement et a listé toutes les cassures, lacunes, marques d’usures. Elle a ensuite proposé une méthodologie d’intervention : dépoussiérage soigné, nettoyage avec des techniques et produits spécifiques, repositionnement des éléments déplacés et enfin une reprise de couleur sur certains oiseaux et remise en place des branches de l’arbre pour lui redonner l’allure générale qui était la sienne à l’origine. Conformément à la déontologie, le nettoyage et les reprises se font avec des produits et des gestes qui peuvent être repris ultérieurement si nécessaire et n’altèrent pas les spécimens.
L’ensemble du processus de restauration se fait sous l’égide de la Commission régionale de restauration, collège de spécialistes de la restauration d’œuvres d’art présidé par la Conseillère Musées de la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC Normandie). Le musée prépare pour cette commission un dossier décrivant l’objet, les besoins en restauration et la proposition d’intervention. La procédure permet d’échanger, de valider les choix, mais aussi de revoir l’histoire de l’œuvre et de la décrire. Il s’agit donc d’une démarche très complète qui enrichit ensuite la connaissance de la collection, restituée au public sur la base de données des collections et dans les expositions.

L’arbre à oiseaux avant restauration

L’arbre à oiseaux après restauration
Restauration de tableaux : toiles et cadres
La collection beaux-arts du Musée d’art et d’histoire est constituée de tableaux dont les cadres sont bien souvent associés à l’œuvre elle-même. Le cadre prend un statut patrimonial quand il a été soigneusement choisi par l’artiste, par le commanditaire, ce qui le rend indissociable du tableau. Ou parce qu’il s’agit d’un cadre ancien ou qu’il a été réalisé avec un soin particulier qui lui confère des qualités artistiques intrinsèques.
Pour répondre à cette particularité, le Musée d’art et d’histoire de Granville fait restaurer les cadres et les tableaux le plus souvent séparément, par des restaurateurs relevant de spécialités distinctes. L’huile sur toile de Gaston Roullet représentant La Sortie du port de Granville a ainsi bénéficié de 2 interventions distinctes : la couche picturale (peinture à l’huile) d’une part, et le cadre en bois doré d’autre part.
La description très précise fournie par les restaurateurs permet de mieux connaître les techniques employées. Par exemple, deux types de dorure ont été distinguées : les zones de motifs en relief ont été recouvertes de dorure à l’huile alors que les zones de gorge et de plat ont été recouvertes de dorure à l’eau. Chaque technique permet d’avoir un effet visuel différent, de jouer sur le contraste entre mat et brillant et contribue à faire ressortir le tableau.
Outre l’empoussièrement, la toile souffrait surtout de craquelures prématurées dans les zones brunes et de petites lacunes. La restauratrice a donc utilisé un mastic pour combler les lacunes et fixer les craquelures, recouvert d’un colorant donnant l’illusion que la couche picturale est uniforme mais identifiable facilement à la loupe.

Détail de l’œuvre de Gaston Roullet avant restauration

Détail de l’oeuvre de Gaston Roullet après restauration
Il arrive que, pour certains tableaux particulièrement abîmés, la toile et son châssis soient traités par des restaurateurs spécialisés dans le support. Ce fut par exemple le cas du Retour des Corsaires, 1806 de Maurice Orange, pris en charge par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) de 2012 à 2015.
Intervenir sur le textile, costume d’homme et pyjama de plage
Comme pour les autres spécialités, les restauratrices spécialisées dans le textile interviennent sur un seul type de matériau mais sur toutes les périodes historiques et tous les styles. Ainsi la même personne peut être amenée, après consultation de plusieurs intervenants, à restaurer une robe à la française du XVIIIe siècle, une robe Empire du début du XIXe siècle, un chapeau, ou ici un costume d’homme du début du XXe siècle et un pyjama de plage des années 1925-1935.
La description permet dans un premier temps de confirmer la nature des tissus, du coton pour le costume et de la soie pour le pyjama. La démarche de restauration commence en textile aussi par un dépoussiérage soigné mais il n’y a jamais de lavage en machine ni de repassage comme on peut le faire chez soi. Les taches sont estompées et traitées en fonction de leur nature. Le défroissage se fait par humidification légère et séchage sous buvard et plaques de verre. Les éventuels trous sont masqués par l’apposition à l’intérieur du vêtement d’une pièce de tissu teinte au préalable. Comme les restaurateurs de tableaux, les restaurateurs de textile appliquent une technique dite « impressionniste » ou « illusionniste » qui consiste à donner l’illusion que l’œuvre est complète tout en préservant les caractères réversible et lisible de leur intervention.

Détail de la collection de costumes de bain au sein de l’exposition Bons Baisers de Granville 3
La restauration des textiles est un sujet d’attention particulière à Granville en raison de la profusion des collections de la Ville. Le fonds d’environ 8000 pièces de vêtement du Musée d’art et d’histoire ainsi que les 3000 items du Musée Christian Dior sont d’intérêt patrimonial remarquable. Cette richesse a d’ailleurs motivé la tenue de 3 chantiers-écoles de l’Institut national du Patrimoine (INP), c’est-à-dire l’accueil en 2017, 2019 et 2022, de 6 élèves restauratrices et de leur encadrante en Arts du textile, pendant 1 semaine entière dédiée à l’étude et au conditionnement des collections de Granville.

Chantier-école de l’INP en 2022
La troisième et dernier volet de l’exposition Bons Baisers de Granville 3, pour lequel plusieurs œuvres ont pu être restaurées, est à découvrir jusqu’au 9 novembre 2025 au Musée d’art moderne Richard Anacréon.
Affiches : Bayside Story
Photographies : Benoit Croisy, coll. Ville de Granville – Yveline Duguet – Dalila Druesnes