Henri Rudaux et Alexandra Jalaber : un séjour de recherches de 10 semaines à l’INHA
Le 22 juillet 2024
Alexandra Jalaber est responsable scientifique pour le Musée d’art et d’histoire (MahG) à Granville. Attachée de conservation, elle articule son travail autour des collections municipales, leur connaissance et leur enrichissement.
En fin d’année 2023, Alexandra Jalaber a été accueillie en tant que professionnelle des musées invitée pendant 10 semaines à l’Institut national d’Histoire de l’art (Paris) pour effectuer une mission de recherche autour d’un artiste représenté dans les collections granvillaises : Henri Rudaux. Notons ainsi une vue de Chausey ou un duo de marines représentant des bateaux de pêche.
Exemple d’œuvres d’Henri Rudaux conservées dans les collections du Musée d’art et d’histoire de Granville
Le point de départ a été l’acquisition d’une Vue d’un port…
Le point de départ de ce projet a été l’acquisition d’une Vue d’un port, huile sur toile, lumineuse et pastel à la fois, par le MahG le 28 octobre 2021 à l’Hôtel des Ventes de Granville.
Afin d’étoffer le dossier d’acquisition, obligatoire pour tout Musée de France, Alexandra Jalaber se plonge dans quelques recherches et s’aperçoit rapidement que la biographie de l’artiste est lacunaire ou contradictoire. Alors même que l’artiste a grandi dans la région, que d’autres membres de sa famille ont fait l’objet de recherches (Edmond son père et Lucien son frère) et que certaines de ses œuvres sont conservées dans des musées nationaux (Musée national de la Marine, Bibliothèque nationale), les bases de données et notices qui font référence (Bénézit et Bibliothèque Nationale de France) sont maigres et parfois erronées.
Animée par les missions d’un Musée de France et par un intérêt, un coup de cœur personnel, pour Rudaux et son art, Alexandra Jalaber débute une étude qui l’amènera jusqu’à l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA).
Dossier d’œuvre d’une peinture réalisée par Henri Rudaux en 1895. L’œuvre est conservée au Musée National de la Marine de Paris.
Le dossier d’œuvre recense des informations qui n’ont pas été numérisées, comme d’anciens cartels, des restaurations ou des informations sur l’acquisition de l’œuvre, son histoire et son vécu.
Par où commencer… ?
Dans un premier temps, les recherches commencent localement.
En 2022, Alexandra a consulté les bases de données en ligne (musées, archives, bibliothèques…), s’est déplacée aux Archives Départementales de la Manche, permettant ainsi de statuer sur la date de naissance et de mort de l’artiste, et d’en apprendre plus sur sa famille, davantage documentée que la vie d’Henri Rudaux. Les recherches se sont poursuivies chez les particuliers, collectionneurs, proches des Rudaux.
Ces études ont permis de recoller quelques morceaux du puzzle, mais nombre d’informations restaient manquantes. Il a alors fallu lister les recherches, documents, collections n’étant pas numérisées et les recherches ne pouvant se faire à distance afin de rédiger un projet de recherche solide.
Chaque année, l’INHA accueille trois à cinq professionnels des musées territoriaux pour des projets de recherches allant d’un à trois mois. En accord avec la Ville de Granville, Alexandra rédige alors un projet détaillé justifiant d’un besoin de 10 semaines de recherches à Paris, ayant pour objectif de documenter la biographie d’Henri Rudaux et de recenser ses œuvres présentes dans les collections publiques.
Grâce aux échanges avec les établissements conservant des œuvres d’Henri Rudaux, ce travail participe au rayonnement du Musée d’art et d’histoire de Granville.
Un environnement d’émulation intellectuelle…
Un tel projet, c’est d’abord et avant tout un environnement d’émulation intellectuelle, un partage des connaissances, des temps d’échange avec d’autres chercheurs…
Sur place, l’INHA, lieu d’excellence, met à disposition un bureau et une carte d’accès illimité à la salle Labrouste. Le temps de travail se découpe en fonction des opportunités de recherches et des horaires d’ouverture des centres de ressources : l’INHA, le Département des Arts du Spectacle, la BNF (sites de Richelieu et de Tolbiac), la bibliothèque de la Comédie Française, la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, la bibliothèque Forney, les archives de Paris… Le temps de recherche long, ici de 10 semaines, permet de s’adapter à la disponibilité des responsables de collections pour pouvoir les rencontrer et pour voir les œuvres.
Vues de la salle de consultation de l’Opéra de Paris et de son balcon.
Les recherches sur un artiste ou un sujet amènent nécessairement à tirer divers fils, qui aboutissent parfois à des histoires locales. Ici, Monsieur Jules Clarety somme le directeur du casino de Granville de retirer une affiche faisant la promotion d’un spectacle de la Comédie Française alors même que la troupe ne sera pas présente.
Transcription : » Directeur du casino, Granville.
Contre tout droit une affiche à votre porte annonce Comédie avec dates officielles prière enlever nom Comédie et dates ou serai forcé aviser. Salutations Jules Clarety 5 août 1902 «
Courrier issu du fonds de la Bibliothèque de la Comédie Française
Même si les échanges avec les professionnels des musées, chercheurs, personnels scientifiques ponctuent le quotidien, enrichir les connaissances autour d’un artiste reste un travail solitaire, que l’on assimile à l’image d’un rat de bibliothèque. Une découverte amenant une nouvelle question, pour approfondir, compléter, éclaircir, le travail se poursuit bien au-delà des 10 semaines consacrées exclusivement à Henri Rudaux.
Après la recherche, la diffusion…
Parmi les missions des Musées de France, l’une d’entre elles résonne particulièrement dans le cœur d’Alexandra Jalaber : « contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion. »
Après ces recherches, le plus gros reste à faire : la diffusion. Elle peut prendre plusieurs formes : d’abord, deux conférences ont été données en décembre 2023 à Donville-les-Bains et mars 2024 à Granville.
Les dossiers d’œuvres et les fiches d’inventaire, accessibles à tous sur le site des collections des musées de Normandie, ont été complétés ou corrigés lorsque cela était nécessaire.
La diffusion de l’information passe aussi par une information claire et exacte dans les cartels qui accompagnent les œuvres présentées dans les musées.
Les visites commentées que donne Alexandra à plusieurs reprises dans l’année sont aussi évidemment impactées par ces progrès sur l’œuvre et la vie d’Henri Rudaux. Elles s’enrichissent aussi de la connaissance de son contexte de création : peintres de marines et peintres de la Société des Artistes français, largement représentés dans les collections du MahG.
Enfin, et c’est le plus évident après des séjours de recherches, une exposition autour d’Henri Rudaux pourrait avoir lieu à Granville ces prochaines années. Un catalogue pourrait également être publié pour ancrer définitivement l’état des recherches autour de l’artiste à date.
La diffusion de la recherche peut aussi prendre la forme d’articles publiés dans des revues et magazines.
Il est indispensable de garder en tête que la recherche en histoire de l’art, comme pour toutes les sciences, n’est jamais terminée. Ce séjour de recherche de 10 semaines a permis de créer un socle à continuer d’enrichir, pour poursuivre l’inventaire des œuvres, leur numérisation, la synthèse des connaissances et leur mise en contexte, compléter le corpus…
La Chanson des Cols Bleus, chants populaires de la flotte française. Recueil de chants de marins de Yann Nibor auquel Henri Rudaux a participé en tant qu’illustrateur. Cet ouvrage est l’un des éléments permettant d’affirmer que Henri Rudaux n’était pas un peintre officiel de la Marine malgré sa collaboration régulière avec la Marine nationale.
Ouvrage conservé par la BNF
S’il ne fallait garder qu’un seul souvenir…
De nombreux moments reviennent à l’esprit d’Alexandra lorsque nous lui posons cette question. L’un d’entre eux allume toutefois une étincelle particulière dans ses yeux : la découverte de la bibliothèque de l’Opéra Garnier à Paris. A plus forte raison car elle est présente pour en apprendre plus sur une capsule temporelle installée sous l’opéra en 1907, un évènement couvert par Henri Rudaux lorsqu’il était correspondant pour la presse. Ces archives, qui ont été ouvertes en 2022, ont été très peu étudiées et offrent ainsi un moment suspendu à la chercheuse granvillaise.
Non loin des visiteurs qui découvrent le musée à travers ses expositions et ses collections, les équipes des Musées de Granville travaillent en coulisses pour poursuivre des missions d’intérêt général pour la connaissance, l’éducation et le plaisir du public.